Il faut se forcer à sortir dans la nature à des moments inhabituels pour nos rythmes de vie si nous voulons apprendre à la voir sous un autre jour et en retirer des images qui nous laisseront une forte impression – un émerveillement à l’impact durable.

Si je m’écoute, je sors me promener en pleine journée, quand la luminosité est bonne et la température agréable.  Une sortie calée entre ces deux temps sociaux qui construisent une journée « normale », que sont le déjeuner et le dîner. Pas entre le petit déjeuner et le déjeuner, pour la seule bonne raison que je ne suis pas du matin et accorde plusieurs heures à mon cerveau pour émerger des limbes du sommeil au creux de mon cocon, de mon chez-moi.

Pourtant il arrive, – maudits rendez-vous aux aurores ! – , que je doive sortir bien plus tôt que je ne l’aurais voulu. Alors j’en profite pour cheminer, non pas le long des routes, mais sur des détours sinueux qui traversent une nature, elle non plus, pas très bien réveillée. Ces moments sont, au final, toujours une bénédiction. Oubliée, la fatigue !

La dernière fois, en plein automne, l’aube m’a permis de contempler la campagne sous la rosée.  Quelle ne fut pas ma surprise, alors, de voir que les goutelettes d’eau me révélaient la présence de toiles d’araignée omniprésentes, tendues entre chaque brin d’herbe de la prairie. On eut dit un napperon brodé de perles qui, quelques heures plus tard, disparaîtrait sous le soleil. Mais cette impression vive de merveilleux resterait en moi, tout comme la prise de conscience du travail, invisible mais constant, de tisseuses acharnées.

Dans cette même prairie, je vois régulièrement les promeneurs hâter le pas à la tombée de la nuit. Pour ma part, j’aime mes séjours entre chien et loup car ils ne sont jamais avares en découvertes. Outre le chassé-croisé des oiseaux diurnes rentrant se coucher et des animaux nocturnes pointant le bout de leur museau, mes sens sont en alerte : mes yeux qui s’adaptent peu à peu au manque de luminosité, mes oreilles emplies du concert d’oiseaux disant au revoir au soleil tout en signalant leur position à leurs congénères sous forme de menaces mélodieuses (mais menaces quand même !), et mes narines humant une humidité croissante et chargée d’odeurs…
Il y a quelques semaines par une nuit de pleine lune, j’eus l’agréable surprise de voir s’avancer vers moi, à mesure que le soleil disparaissait, un voile de brouillard envahissant la plaine. Bientôt, il m’entourait. C’était une langue blanche, un filet immaculé,  si fin qu’il me suffisait de me pencher pour passer dessous et m’en faire une couverture entre moi et les étoiles. Je me relevais et constatais que la pleine lune irradiait cette masse de vapeur d’eau, comme éclairée de l’intérieur. Tout semblait figé. La plaine était à moi, fantomatique et irréelle. Rien qu’à moi. J’aurais voulu que d’autres voient ca et partagent ce frisson de joie et de peur irrationnelle mêlées, mais voilà : tous les promeneurs étaient rentrés.

Il faut se forcer à sortir dans la nature à des moments inhabituels pour nos rythmes de vie si nous voulons apprendre à la voir sous un autre jour.

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